Ils sont arrivés pour la plupart en avance à l’église –il est vrai qu’on est en Suisse, accompagnés par leurs maîtres.Après avoir goûté aux croquettes mises à disposition par l’Abbé Olivier Jelen pour « qu’ils se sentent bien accueillis » et bu une rasade d’eau dans les gamelles, Rebecca, Tony, Juliette, Fango, Mia, Amandine…, se sont installés tranquillement, qui assis sur les bancs de bois, qui allongé à même le sol, qui dans un panier, qui dans les bras… attentifs à faire bonne figure, à renifler son voisin, à trouver une place digne de son rang et de l'Evènement – une sortie à l’église ce n’est pas tous les jours ! Phénomène inattendu, dès les premières notes de l’orgue, le silence se fait presque total… comme si tout était « normal ». N’étaient les têtes un peu plus poilues et les grandes oreilles qui dépassent, rien ne laisse deviner que cette messe, pardon ! cette célébration (parce que les animaux, ça ne communie pas), est une liturgie en leur honneur et en l’honneur de la création toute entière.
Saint François doit se réjouir
En ce week-end de
la saint François, cette démonstration de fraternité improbable a de quoi réchauffer
le cœur de celui pour qui on renverse quelque peu l’ordre établi ! Une
trentaine de chiens, quelques chats et une chauve-souris, planquée dans les
replis d’une tenture portant Christ en croix, se sont données rendez-vous pour
vivre ensemble ce à quoi ils révéraient – à n’en point douter au vue de leur
mine réjouie et attentive, de participer plus souvent : se retrouver à
pied d’égalité, ou presque (faut pas exagérer, ni provoquer la censure !)
avec leurs frères humains.
Il y a, de fait, pour eux de quoi
s’étonner et se réjouir. Après un début de messe un peu « classique »
-convenances obligent – les oreilles se sont levées pour écouter
l’inédit : non pas une, mais plusieurs demandes de pardon ; pardon
pour les tigres, les éléphants, les panda et les rhinocéros décimés par nos
soins, pardon aussi pour tous les animaux abattus pour être mangés –c’est vrai
qu’il y en a aussi dans les croquettes- , mais les milliards de cochons, bœufs
, poulets et poissons tués chaque année…, ça fait froid dans le dos, pardon
aussi pour la fourmi, l’araignée et le vers de terre que l’on élimine à coup de
talon ou de pesticides…
Quelle mouche a donc piqué le
Père Abbé ? A-t-il perdu la raison pour donner autant d’importances à de
si petites « choses », et se permettre de secouer les puces à ses
paires ? Comment vont-ils réagir ? Contre toute attente, les humains
semblent recueillis et reconnaissants, souriants même… le monde à
l’envers !
Isaï pour aujourd'hui... ou pour demain?
Il est vrai que l’Abbé n’est pas
seul dans son équipe ; il a derrière lui un saint et un pape, et non des
moindres, puisqu’ils s’appellent tous les deux François. Il n’hésite pas à les
solliciter dans son homélie, commentant ces versets de la Genèse où, en ce
sixième jour, les humains et les animaux sont créés dans un même souffle
d’amour : « Chacune des
créatures, surtout les créatures vivantes, a une valeur en soi, d’existence, de
vie, de beauté et d’interdépendance avec les autres créatures»[1].
Ces paroles là, ce n’est pas rien. On s’étonne juste, que cette sagesse et
cette douceur n’émergent pas plus souvent. La fraternité entre toutes les
créatures, comprenez, ça leur parle aux animaux. Isaï, comme nous, ils y
aspirent. Seulement, ça ne dépend pas d’eux. Alors, pour une fois que quelqu’un
a le courage de dire cela au grand jour, qui plus est dans une charmante petite
église de Genève, alors on se dit qu’il se passe quelque chose de bien
extra-ordinaire et l’on en vient à espérer.