mercredi 22 février 2012

Un loup abattu sur le Mont Ventoux

Le cadavre d’un loup mâle a été retrouvé lundi matin 30/01/2012
au pied du Mont Ventoux, en forêt domaniale à Bédoin (84),
 criblé de deux balles. Une enquête judiciaire est en cours.
  
Imaginez…
 
Il avait pris soin de quitter le terrier discrètement dans le demi-jour d’une froide journée d’hiver. L’heure du grand départ avait sonné. Les petits nés au printemps se débrouillaient bien désormais. Lui, n’était plus indispensable pour la meute, et l’espace dans ce coin de montagne tant aimé se faisait étroit et le gibier plus rare. Dans ses veines coulait le sang d’une lignée d’aventuriers, de ceux qui, il y a plus de vingt années maintenant, avaient osé franchir la frontière entre l’Italie et la France... 


.... même si on ne peut parler de frontières pour des animaux qui ne connaissent de limites que celles des montagnes, des pâturages, des torrents ou des à-pics rocheux. Frontière tout de même entre deux mondes, car de l’autre côté du Vallon de Mollières dans le Parc du Mercantour s’étendait un territoire qu’aucun membre de l’espèce n’avait osé explorer depuis ce triste jour de l’année 1930 où, après des décennies de carnage, le dernier loup français avait été abattu. Puis un jour de l’année 1992, poussés par une confiance innée en la vie, ces explorateurs de l’impossible ont osé braver l’anathème et reprendre pied sur la terre de leurs ancêtres, là où seul le souvenir de la mort subsistait.
De même ce jour là, ce jeune mâle sent le sang affluer à ses tempes…, se retourne une dernière fois avant de quitter ses montagnes à grandes enjambées. Il sait qu’il doit poursuivre l’œuvre des siens, exprimer cette puissance d’amour au monde qui l’emplit, transmettre le message de la vie un pas plus loin … et retrouver place, sa place dans l’ordre naturel des choses. Au bout d’une centaine de kilomètres, il quitte le territoire connu, ses bois, ses champs, ses rivières, ses odeurs familières….Discret comme une ombre, méfiant et amoureux en même temps, poussé par une force irrésistible qui l’amène à traverser des rivières glacées, des autoroutes, des ponts, des villes peut-être…à regarder, admirer, observer sans être vu, se reposer dans l’antre d’un sous-bois protecteur, à l’abris du danger pour quelques secondes de répits. De quel courage, de quelle intelligence et de quelle confiance faut-il être doté pour accomplir un tel exploit ? Découvrir de nouvelles terres, de nouveaux bois, un nouvel espace de vie possible, envers et contre tout, où il pourrait honorer la vie en son espèce, accomplir son œuvre. Durant cette quête en avant, il a déjoué tous les dangers, s’est contenté de quelques lapins affaiblis par l’hiver, de raisins gelés sur les vignes, a marché et jeuné pendant des jours, et le voici arrivé, croit-il, quelque part où il pourra se poser pour un temps; une petite forêt, sur le flanc d’une montagne ronde et blanche comme un sein, un peu comme s’il se retrouvait enfin chez lui, dans l’espace intérieur qu’il habite depuis toujours. Autour de lui, la nature s’anime, se réjouit même, la forêt frémit à nouveau de sa présence et l’accueille ; cela fait si longtemps qu’elle ne l’a vu et qu’elle ne s’est sentie si entière. En retrouvant le loup, elle retrouve son intégrité, cette force sauvage dont elle avait été amputée. Le temps est, l’espace d’un instant, revenu à son point initial où toute chose avait sa place dans la grande chaine des êtres et de la vie. L’instant inouï des retrouvailles comble le manque. Pour un temps, on ose espérer à nouveau… Pour un temps seulement, car malgré toute l’adresse et la force de la vie à contrecarrer les obstacles, malgré toute l’attention, tout l’amour, toute la miséricorde dont elle sait faire preuve… une fois de plus, elle n’a su déjouer le piège de la mort amenée par l’homme au fusil.
Une balle dans le flanc a suffi ! Une absence…une distraction ou peut-être une infâme trahison…Une balle a suffi pour réduire l’indicible magie de la vie à néant.

Il n’est pas de mots pour dire la cruelle imbécilité de notre espèce, qui plus est celle à cartouchière, à saccager la vie sur terre. L’homme (j’ose espérer, un peu moins la femme) en tuant le loup tue la plus belle part de lui- même, celle qui n’a pas encore été domptée, cassée, débourrée… par la civilisation. Il tue la force vitale qui tente, tant bien que mal, de s’exprimer contre les forces de mort et de laideur à l’œuvre dans notre monde. En tuant le loup, l’homme cherche aussi à tuer sa peur – bien moins sa peur du loup que sa peur de lui-même,  de sa propre animalité et de ses pulsions destructrices. En accréditant le meurtre du loup par les « prélévements » qu’elle autorise, la loi française[1] , contraire en ce sens à la loi européenne, continue d’exercer son despotisme pseudo rationnel pour couvrir, en vérité, un scandale politico-financier que personne ne cherche à dénoncer[2]. Le loup est devenu le bouc-émissaire qui cache les dérives d’un système en banqueroute.  Cette histoire est au final un énorme complot de l’humain contre lui même, qui ne comprend pas que le loup, à l’instar de tout ce qui peuple la planète, le peuple et le constitue lui-même. En tuant le loup, l’humain se tue lui-même.

Ce loup, arrivé, par on ne sait quel miracle dans les forêts du Mont-Ventoux était une chance inouïe, un geste de la main dans notre direction, un scintillement de paupières  qui nous disait que tout était encore possible. Un cadeau ineffable de la vie. Puissions-nous un jour le recevoir et l’honorer avec la dignité qui incombe à notre espèce, dite « humaine »!

Tableau de chasse
Je n’ai pas le cœur à parler de l’insanité des chasseurs et de ceux qui édictent des lois en leur faveur, pour obtenir quelques voies électorales[3]. Que valent les voies des criminels dans l’urne de la vie ?  
Quelques  chiffres seulement, qui parlent d’eux-mêmes :
 « Ce loup tué à la fin de janvier 2012 par un braconnier (ce qui signifie tout de même un chasseur muni d’un fusil et d’un permis de chasse, mais qui chasse illégalement) intervient après l’année la plus meurtrière pour le loup depuis son retour naturel en France. Pas moins de 12 loups ont en effet été tués en 2011 : au moins 2 loups braconnés, 1 loup retrouvé empoisonné, 3 loups morts par collision, 3 loups morts de cause inconnue, et enfin 3 loups officiellement abattus sur arrêtés préfectoraux (tirs de prélèvement et de défense). Il est évidemment probable que la réalité de la mortalité, en particulier par braconnage, dépasse ces chiffres qui ne témoignent que des cadavres ayant été retrouvés. La présence du loup était suspectée depuis 2008 dans le secteur du Mont Ventoux. Le massif est propice à l’installation de l’espèce, par la présence en abondance d’ongulés sauvages (Cerf, chevreuil, sanglier, mouflon) dont il se nourrit. Le Mont Ventoux ne parait pas encore accueillir de meute installée, mais constitue une zone de recolonisation naturelle pour cette espèce autrefois largement présente dans le Vaucluse ». (sources Ferus)

Des pistes pour agir :
Œuvrer pour la sauvegarde du Loup avec l’association Ferus  (www.ferus.fr) ou l’Aspas (association pour la protection des animaux sauvages www.aspas-nature.org) .Devenir bénévoles pour aider les bergers à garder les troupeaux et, partant, à préserver les loups,  avec les programmes « Loupastre » d’A pas de Loup (www.apasdeloup.org ), ou « Pastoraloup » de Ferus(Ferus pastoraloup@ferus.org 06 71 49 25 32).



[1] Le loup gris (Canis lupus) est une espèce fragile, classée « Vulnérable » sur la liste rouge française des espèces menacées. Présent depuis plusieurs centaines de milliers d’années, il a été abondamment détruit dans les derniers siècles jusqu’à disparaître du pays dans les années 1930. Revenu spontanément dans les années 1990 à partir de l’Italie, il est actuellement dans une phase de recolonisation naturelle. Avec une population estimée à moins de 200 individus répartis principalement dans le massif alpin, le loup reste une des espèces animales les plus rares de France.
[2] Par le maintien de la PAC (Politique Agricole Commune) qui ruine les terres en les rendant infertiles à coup de pesticides et d’engrais, subventionne l’élevage intensif et détruit la ruralité et le petit pastoralisme de montagne. Ce n’est en aucun cas, la faute du loup.
[3] On apprend par un bulletin de la LPO que Monseigneur Sarkosy vient de prendre des mesures pour exaucer les vœux des chasseurs, en leur accordant le droit de chasser plus d’espèces, plus longtemps et tout de suite ! Des espèces en danger, telles que l’eider à duvet ou le courlis cendré, deviennent chassables à l’instant, en tout illégalité. La LPO dénonce cette série de mesures totalement inédites, contraires aux intérêts de la biodiversité, sans concertation, et partiellement illégales.



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